Retrouvez ci-dessous ma dernière tribune publiée dans le Nouvel Obs.
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L’insertion des personnes en situation de handicap : changeons de regard pour changer d’échelle !
Les Jeux Paralympiques battent leur plein, et nous admirons les performances de toutes ces sportives et de tous ces sportifs aux parcours de vie uniques, qui sont une source d’inspiration pour la société entière. Paris peut être fière de porter haut et fort le volet paralympique des Jeux de 2024 depuis le lancement de sa candidature il y a neuf ans déjà.
Si ces Jeux Paralympiques résonnent fortement en chacune et chacun de nous, c’est parce que le handicap n’est ni exceptionnel, ni lointain. D’abord, parce que nous avons toutes et tous dans notre entourage une personne en situation de handicap, qu’il soit physique ou mental, visible ou invisible. En France, plus de 12 millions de personnes sont porteuses d’un handicap, soit un français sur six. Ensuite, parce nous ne pouvons jamais savoir ce que la vie nous réserve, quelles épreuves nous aurons à traverser. En particulier dans un contexte économique où le « mal-travail » est de plus en plus pointé du doigt, du fait d’injonctions de productivité qui provoquent de nombreuses pathologies dont les plus connues sont les burnouts et les troubles musculo-squelettiques.
C’est pourquoi il importe de rappeler encore et encore d’une part que la santé des personnes doit être la première des priorités politiques, et d’autre part, que les singularités, les fragilités, sont une richesse pour la société. C’est parce que chacune et chacun, porteuses et porteurs ou non de handicap, sommes vulnérables, que nous avons besoin les uns des autres et que nous devons cultiver précieusement ce qui nous lie.
Le problème est qu’aujourd’hui encore, le handicap reste un motif majeur de discrimination, et les saisines du Défenseur des droits montrent que le travail est le premier domaine dans lequel celles-ci s’exercent[1]. Ainsi, les personnes en situation de handicap ont un taux de chômage bien supérieur à celui de l’ensemble de la population active, et lorsqu’elles travaillent, elles sont le plus souvent cantonnées à des emplois sous-qualifiés et mal rémunérés. Certes, être reconnu travailleur handicapé (RQTH) ouvre le droit à un certain nombre d’aides spécifiques, et de plus en plus d’administrations et d’entreprises ont des politiques volontaristes de recrutement de personnes handicapées, parfois même en allant au-delà des obligations légales en la matière. Mais de grands efforts restent encore à faire en matière de lutte contre les préjugés, de formation et d’aménagement des cadres de travail. Et selon de nombreux spécialistes, les efforts de l’État en la matière sont insuffisants : les sociologues Pierre-Yves Baudot et Jean-Marie Pillon estiment même dans une récente tribune que la récente réforme France Travail maintient les travailleurs handicapés en position de « variables d’ajustement du marché du travail »[2].
Les personnes dont les capacités de travail ne leur permettent pas de travailler dans les administrations ou entreprises ordinaires sont, elles, le plus souvent accueillies dans des établissements d’aides et de services par le travail (ESAT). Elles peuvent y exercer une activité professionnelle avec un accompagnement éducatif, technique et médico-social adapté à leur situation. Or, ce modèle des ESAT nourrit de plus ne plus de critiques, en particulier depuis la parution de l’ouvrage de Thibault Petit : « Handicap à Vendre » (éditions Les Arènes, 2022), qui dénonce un système injuste et discriminatoire et un statut précaire pour les travailleuses et travailleurs handicapés, et ce, malgré les avancées de la loi dite « plein-emploi » de 2023, notamment en matière de représentation syndicale ou d’accès à une complémentaire santé. Ils ne sont en effet que partiellement protégés par le Code du travail, ne cotisent pas pour l’assurance-chômage, leur rémunération moyenne avoisine le seuil de pauvreté, et dans certains établissements les tâches sont particulièrement pénibles à effectuer. Pour les personnes en situation de handicap, qu’elles travaillent en milieu ordinaire ou protégé, l’accès à un emploi et l’exercice de celui-ci reste donc difficile.
L’amélioration des conditions de travail des personnes handicapées doit sans doute être considérée comme partie prenante d’un projet de société inclusif plus large pour pouvoir devenir réalité. Elle appelle bien-sûr à une prise de conscience de chacune et chacun, pour bousculer nos préjugés. Elle passe aussi nécessairement par une transformation de notre économie, qui doit devenir une économie du lien. En la matière, l’économie sociale et solidaire (ESS), peut avoir valeur d’exemple. Au-delà des nombreuses associations qui en représentent la part majoritaire, dont un certain nombre accompagnent les personnes handicapées au quotidien, les structures d’insertion par l’activité économique (IAE) sont un modèle intéressant en matière d’intégration des publics fragiles. Pleinement intégrées dans le cadre juridique du Code du Travail, leurs parcours d’accompagnement des salariés sont reconnus pour leur qualité, et les taux de retour à l’emploi sont impressionnants. Aujourd’hui, les travailleuses et travailleurs en situation de handicap ne représentent que 2% des publics de l’IAE. Rapprocher progressivement le statut des ESAT de celui de l’insertion par l’activité économique est une piste intéressante pour améliorer significativement l’emploi des personnes handicapées les plus fragiles. Le modèle des ESAT évoluera également dans le bon sens à mesure que les clients (privés et publics) qui feront appel aux prestations de ces structures modifieront l’approche commerciale qu’ils peuvent avoir à leurs égards, et accepteront de payer le prix juste pour le travail réalisé – l’accompagnement socio-professionnel des publics en parcours en insertion devant quant à lui être subventionné.
Reste la question centrale de la pérennisation du financement de ces structures de l’insertion et du handicap hybrides, à la fois soutenues par les pouvoirs publics et dégageant par ailleurs du chiffre d’affaire. Là encore, ce qui se passe avec les Jeux de Paris 2024 est inspirant. Grands donneurs d’ordres publics et privés ont travaillé ensemble pour rendre accessible les marchés de construction des équipements et d’organisation des épreuves aux acteurs de l’économie sociale et solidaire. Les résultats sont là : plus de 500 entreprises de l’ESS et près de 100 structures du handicap ont remporté au moins un marché des Jeux, avec de l’activité économique à la clé ! Preuve en est une nouvelle fois qu’en matière de solidarité, c’est le toujours le travail d’équipe qui gagne.
[1] Rapport parallèle du Défenseur des droits dans l… Catalogue en ligne (defenseurdesdroits.fr)
[2] France Travail : « Les travailleurs handicapés sont utilisés comme variable d’ajustement du marché du travail » (lemonde.fr)
Photo : Marcus Aurelius, image libre de droits