Le 10 décembre dernier, le Syctom, qui est le grand syndicat de traitement des déchets de 85 communes d’Île-de-France, dont la majorité situées dans la métropole du Grand Paris, votait son budget 2022. Ce vote fut évidemment un moment très important puisqu’il détermine les actions du Syctom non seulement pour 2022, mais aussi pour les années qui suivent, étant donné qu’un certain nombre de dépenses, tant en fonctionnement qu’en investissement, conditionnent l’évolution du volume et de la nature des déchets traités à horizon 2025. Voici mon point de vue sur quelques uns des enjeux principaux qui sont devant nous, en cohérence avec les grandes orientations que nous avons défendues en tant que groupe écologiste.
Gestion des déchets : qui fait quoi ?
Commençons par rappeler que le Syctom a la compétence de traitement des déchets, non de collecte. Autrement dit, ce n’est pas lui qui gère la manière dont les poubelles sont déployées et ramassées au pied des immeubles, puisque son action commence lorsque les camions-poubelles apportent leurs déchets à ses usines d’incinération ou de tri. Ce n’est pas non plus le Syctom qui a véritablement en charge les politiques de prévention, qui ont pour but de sensibiliser la population à la nécessité de générer moins de déchets, et de mieux les trier. Ces deux compétences, prévention et collecte, relèvent d’abord de chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI) membre du syndicat.
Cette question de la compétence est très importante pour penser la question de la réduction des déchets. On voit bien en effet que le Syctom intervient avant tout à la fin de la chaîne des déchets. Il gère des centres de tri, qui permettent notamment d’envoyer le contenu des poubelles jaunes dans des filières de recyclage. Ainsi que des usines d’incinération des ordures ménagères. Mais jusqu’à aujourd’hui, il n’a pas souhaité intervenir fortement sur les politiques de prévention qui réduisent le volume des déchets traités. Certes, compte tenu de l’importance des enjeux de réduction et de tri des déchets, le Syctom finance tout de même des dispositifs de prévention et sensibilisation, tels que le déploiement d’un réseau d’éco-animateurs et ambassadeurs du tri, ou la diffusion de campagnes de sensibilisation par exemple. Il co-finance aussi aux côtés des EPCI des dépenses d’équipement des territoires (pavillons de compostages, table de tri, ouverture de ressourceries/recycleries…) mais ces dispositifs ne représentent que 3% environ de ses budgets de fonctionnement et d’investissement. Dans un contexte où la quantité totale des tonnages de déchets traités par le Syctom repart à la hausse suite aux périodes de confinement et couvre-feux (+5% en 2021 par rapport à 2020), il y a urgence à faire beaucoup plus en matière de politique de réduction des déchets.
Le mur de l’enfouissement
Plus de déchets à traiter donc, alors que le Syctom verra en 2024 sa capacité d’incinération des ordures ménagères fortement baisser, du fait de la mise en service de la nouvelle usine de valorisation énergétique d’Ivry-Paris 13 dont la capacité d’incinération de 350 000 tonnes par an est deux fois moins importante que celle de la précédente usine. Cette diminution des capacités d’incinération est défendue de longue date par les écologistes. Car même si l’incinération permet de produire de l’énergie sous forme de vapeur, qui est ensuite injectée dans le réseau de chaleur urbain de la CPCU, ou encore de l’électricité, elle a une empreinte carbone non négligeable, et au fond, défendre un modèle de production d’énergie et d’électricité qui dépend de l’incinération des déchets n’incite pas à les réduire. La pire des solutions restant évidemment l’enfouissement des déchets, puisque cela revient à considérer nos sols comme des décharges, et que les installations de stockage des déchets rejettent des biogaz comme le méthane par exemple, qui ont de forts impacts sur le dérèglement du climat. Et puis il faut garder à l’esprit que brûler ou enterrer un déchet qui pourrait faire l’objet d’un réemploi ou d’un recyclage « oblige » à fabriquer de nouveaux produits à partir de matières premières vierges, avec les émissions de gaz à effet de serre associées.
Le problème, c’est que la réduction programmée des capacités d’incinération du Syctom ne s’est pas accompagnée d’une véritable politique de réduction des déchets à la source. Conséquence : les tonnages de déchets restent importants, les capacités d’incinération baissent, et donc il faudra sans doute avoir davantage recours à l’enfouissement à partir de 2025, moment où la nouvelle usine Ivry-Paris 13 entrera pleinement en fonctionnement ! Or, l’enfouissement est la pire des solutions, du point de vue écologique, mais aussi financier, car étant donné son impact environnemental très négatif, elle est fortement taxée au titre de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP). Le Syctom pourrait donc, selon certaines simulations, accuser un surcoût cumulé de 248 millions d’euros à horizon 2029 du fait de la hausse de la TGAP (voir graphique ci-dessous, source Syctom).
Le nécessaire virage de la réduction et du tri des déchets
Il y a donc urgence à changer d’approche, et prendre enfin le virage de la réduction des déchets, si nous voulons arrêter d’incinérer ou enfouir d’immenses quantités de déchets. Cela passe à nos yeux par des moyens financiers importants dédiés aux politiques de prévention, qui ont pour but de sensibiliser la population à la nécessité de générer moins de déchets, et de mieux les trier. Il faut aussi dégager des moyens pour les politiques d’éco-conception, en lien avec les groupes industriels, pour réduire les quantités d’emballages des produits, développer les filières de vrac et de consigne pour réemploi.
En effet, le réemploi au sens large est aussi une solution puissante. Beaucoup d’objets du quotidien peuvent trouver une seconde vie grâce aux acteurs du réemploi ou de la réparation. Vêtements, électroménager, ameublement…nous défendons la création d’une grande coopérative d’intérêt collectif axée sur le réemploi et la réparation sur le territoire du Syctom, dont serait évidemment membre le Syctom lui-même, aux côtés de l’écosystème des structures de la réutilisation. L’objectif serait de se coordonner sur de grands objectifs, de structurer les filières par types de gisements, et de faciliter l’accès de la population aux points de collectes ou de ramassages des objets.
Le développement des filières de tri est également fondamental. En triant plus et mieux, nous faisons grandir les filières de recyclage et nous minimisons les gaspillages de ressources naturelles. Verre, métaux, papiers/cartons, plastiques : trop de ces matériaux sont aujourd’hui mal triés et finissent à l’incinération, alors qu’ils pourraient être recyclés finement et repartir dans des filières de production circulaires.
Il y a aussi l’enjeu de développer une véritable filière de valorisation des biodéchets, qui représentent en moyenne environ 30% de la poubelle d’ordures ménagères des foyers. Comment accepter notamment que tant de déchets alimentaires soient gaspillés, alors qu’ils pourraient être compostés et ainsi participer à fertiliser nos sols ?
Ce virage de la réduction et du tri des déchets est donc primordial et nécessite un véritable changement d’approche du Syctom. La politique du syndicat est le fruit des équilibres politiques qui le constituent, et c’est la raison pour laquelle chaque territoire, chaque commune doit prendre ses responsabilités en ce sens. Une nouveau partage des compétences pourrait sans doute être mise en place, où le Syctom prendrait davantage de responsabilités en matière de réduction des déchets et d’accompagnement au tri. Sur ces sujets, quelles actions sont les plus pertinentes à mener à l’échelon du syndicat ? Sans doute celles qui du fait de leur volume important nécessitent de dégager des économies d’échelle pour rationaliser les coûts qu’elles engendrent. On pense ici notamment à des dépenses d’équipements comme la fourniture d’unités de compostages ou l’installation de déchetteries, qui devraient d’ailleurs être encadrées par un véritable schéma de la commande publique responsable. L’intérêt de mutualiser au niveau du Syctom un certain nombre de dépenses d’investissement est aussi de permettre aux communes les moins riches de s’équiper davantage, et cela réduit donc les inégalités territoriales en matière de politique des déchets. D’autres actions sont sans doute plus adaptées à être menées par les EPCI, du fait de leur importante composante de proximité : les campagnes de communication par exemple sont plus pertinentes quand elles sont calibrées par rapport aux spécificités des publics des différents territoires.
Il me semble que ces sujets de compétences, du « qui fait quoi », gagneraient à être clairement posés et débattus, par exemple à l’occasion de véritables états-généraux des déchets réunissant l’ensemble des parties prenantes. Et au vu des enjeux de répartition des moyens financiers entre EPCI et Syctom que soulèvent une telle réorganisation, nul doute que les débats seraient nourris, mais nous contraindraient collectivement à rechercher de l’efficacité et du consensus.
Pour conclure en revenant au vote du budget 2022 du Syctom, le groupe écologiste s’engage résolument pour défendre ce virage de la réduction et du tri des déchets. Nous avons en effet proposé en décembre dernier deux amendements budgétaires. L’un proposait d’augmenter de 20% au lieu de 3% le budget alloué aux politiques de prévention. L’autre visait à un doublement du budget accordé au développement de la filière biodéchet. Si le premier a malheureusement été rejeté, nous avons tout de même obtenu que tout excédent financier généré par le Syctom en 2022 serait automatiquement affecté aux politiques de prévention. Quant à l’amendement biodéchet, il a lui été voté ! C’est encourageant pour la suite, même s’il reste tant à faire.