Tribune de Florentin Letissier, Adjoint à la Maire de Paris en charge de l’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire et la contribution à la stratégie zéro déchet et Fanny Massy, Directrice Générale de Paris Initiative Entreprise.
En 2015, l’accord de Paris pour le climat nous fixait pour objectif de maintenir l’augmentation de la température moyenne de la planète à moins de deux degrés Celsius, en insistant notamment sur la nécessité de « rendre les flux financiers compatibles » avec une économie plus durable.
La finance est au coeur des enjeux écologiques : elle fournit les moyens financiers nécessaires à tous les investissements vers une économie durable et décarbonée. Nous le savons, ils sont nombreux : il faut isoler massivement les bâtiments, développer les énergies renouvelables, déployer les transports collectifs et la mobilité douce, généraliser l’agriculture bio et locale, s’approvisionner différemment en faisant de nos déchets des ressources, et relocaliser notre production.
Tout cela nécessite de mobiliser d’importants flux financiers, publics comme privés. En France, l’étude la plus récente publiée par le think tank I4CE estimait que sur l’année 2020, le montant total des investissements pour le climat s’élevait à plus de 45 milliards d’euros, alors qu’il en faudrait au moins 15 milliards de plus pour se donner les moyens d’une véritable transition écologique et sociale de notre économie. C’est notamment l’objectif du programme InvestEU, porté par l’Union européenne et lancé l’année dernière, qui mobilise une garantie budgétaire de plus de 26 milliards d’euros sur la période 2021-2027, pour permettre aux acteurs publics et privés d’investir massivement dans « une économie plus verte, numérique et résiliente ».
Oui, il faut investir davantage dans la transition écologique, mais il est tout aussi indispensable de penser la manière dont cet argent va être utilisé sur les territoires. La finance verte doit bénéficier à l’économie réelle, locale et créatrice d’emplois. Elle doit être à l’avant-garde de ces nouvelles activités capables de recréer du lien social et de la résilience. Elle doit permettre d’investir dans ces métiers de production et de transformation à fort impact social et environnemental, qui préservent nos ressources naturelles, l’eau que nous buvons et l’air que nous respirons, sur lesquelles sont d’ores et déjà positionnés des entrepreneurs engagés qui ne demandent qu’à se développer. Pour relocaliser la production, il faut donc relocaliser la finance. L’un ne peut aller sans l’autre.
Et en matière de relocalisation de la finance, beaucoup reste à faire. Le principal écueil des dispositifs créés à l’échelle nationale ou supranationale est qu’ils ne puissent pas suffisamment irriguer les territoires, dans leur diversité et spécificité. Ainsi, pour reprendre l’exemple du programme InvestEU, il est fondamental que les moyens massifs qui y sont mobilisés ne soient pas principalement fléchés vers des infrastructures ou des fonds d’investissement de grande taille, qui ne sont pas nécessairement ancrés dans des tissus économiques territoriaux.
Changement de logique
Il faut prendre à contrepied la logique classique de la finance mondialisée, qui veut que les masses considérables d’argent à investir le soient sur de gros tickets d’investissement, jugés forcément plus rentables car moins gourmands en suivi quotidien de petits tickets plus nombreux. Ceci se fait au détriment des plus petites structures locales, TPE et PME, ou structures de l’ESS, qui peinent souvent à trouver des solutions de financement adaptées pour leur permettre de grandir, alors même qu’elles sont indispensables pour faire vivre les économies locales et sont au coeur de leur transition écologique et sociale.
Ces investissements dans des structures plus locales peuvent d’ailleurs s’avérer moins risqués, tant l’activité économique de ces entreprises du quotidien sont ancrées dans des bassins de consommation qui ne fluctuent que peu au gré de la conjoncture économique. Au contraire des forts mouvements de balancier spéculatifs observés sur les marchés mondialisés de capitaux versatiles, où les richesses se font et se défont parfois en quelques minutes.
Quant aux fameuses externalités positives des investissements dans les tissus économiques locaux, elles ne sont plus à démontrer. Création d’emplois de proximité, lien social, préservation des espaces naturels…l’enracinement de ces acteurs économiques dans leur territoire les pousse à vouloir en prendre soin. Les acteurs de la finance doivent donc impérativement prendre toujours plus en compte les impacts extra-financiers dans leurs décisions d’investissement, bien au-delà du fameux taux de rentabilité interne. Ces dernières années, la multiplicité des initiatives venant d’acteurs publics et privés pour élaborer des indicateurs de mesures des différentes externalités positives montre une réelle prise de conscience qu’il faut maintenant pleinement concrétiser.
Un nouveau fonds
C’est fort de cette conviction qu’il faut relocaliser la finance pour réussir la transition écologique sur les territoires, que Paris s’associe au lancement de Paris Fonds ESS. Il s’agit d’un fonds d’investissement, financé par des budgets publics et privés, qui interviendra directement en fonds propres dans le capital de structures de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) ou de l’économie à impact, afin de leur permettre de grandir sur le territoire où elles exercent leur activité.
Les investissements consistent en des tickets de 50 000 à 100 000 euros dans un premier temps, pour permettre à des entreprises à fort impact social ou environnemental qui ont amorcé leur activité et consolidé leur modèle économique d’enclencher leur changement d’échelle avant que l’écosystème de l’investissement plus traditionnel ne prenne le relais. Les structures exerçant des activités dans la transition écologique du territoire parisien seront priorisées : l’économie circulaire du bâtiment, des systèmes de consigne et de vrac, de la logistique bas carbone, du textile réemployé, et du reconditionnement des appareils électroménagers et numériques.
Les investissements proposés seront donc du « sur-mesure », et témoigneront d’un suivi fin du développement des acteurs. La démarche s’inscrit pleinement dans le mouvement d’une finance solidaire et relocalisée, dont l’histoire est riche d’initiatives, du microcrédit aux monnaies locales, dans le sillage et en coopération avec de grands réseaux pionniers et de collectifs qui inventent la finance de demain tels que France Active et FAIR-Finansol.
Investir dans les acteurs de l’économie sociale et solidaire devrait être une priorité, du fait de leur impact très positif sur le territoire où ils ont leur activité. Rappelons en effet qu’ils conjuguent le souci du collectif et le partage de la valeur, la capacité à employer les travailleurs les plus éloignés du marché de l’emploi, le souci de prendre leurs décisions de production de la manière la plus démocratique possible, le dialogue étroit avec les collectivités locales, et la poursuite de l’intérêt général au coeur de leur activité économique.
« Penser global, agir local ». Cela fait longtemps que cette formule célèbre de l’écologue René Dubos, qui fut l’un des instigateurs du premier sommet de la Terre à Stockholm en 1972, est devenue une des devises de celles et ceux qui agissent pour l’écologie. Appliquée à la finance, elle montre encore une fois toute sa pertinence. À la finance mondialisée et destructrice, préférons la finance relocalisée et décarbonée !