Rendre le travail plus désirable pour mieux financer notre système de retraites

Ma tribune ci-dessous, à retrouver aussi sur Usbek & Rica : Usbek & Rica – Rendre le travail plus désirable pour mieux financer notre système de retraites (usbeketrica.com)

« On sait pour quoi − pourquoi ? − on travaille. » Cette expression est souvent employée par les salariés-associés des SCOP (sociétés coopératives de production) pour expliquer en quoi travailler dans une coopérative fait sens pour eux. À l’heure où le débat sur la réforme des retraites bat son plein dans notre pays et où les plus vulnérables d’entre-nous s’inquiètent légitimement de leur avenir, ces mots résonnent fortement, tant la question du rapport au travail et du celle du fonctionnement du système de retraites sont liées. Tout simplement car c’est le temps de vie passé au travail qui détermine à la fois les conditions de la retraite future au plan individuel, et le financement des retraites par répartition au plan collectif.

Combien d’années de travail, dans quelles conditions, et pour quels objectifs ? Toutes les travailleuses et tous les travailleurs se posent ces questions. Même s’il existe des différences selon les catégories sociales ou les classes d’âge, le rapport au travail des Françaises et Français évolue. Un certain nombre de sondages montrent en effet que le travail est considéré comme devant occuper une place moins importante dans la vie. Et lorsqu’on demande à la population à quels mots elle associe le travail, nombreux sont évidemment celles et ceux qui répondent « salaire » et « nécessité », tout en plaçant les notions d’ « épanouissement », « valeur » et « utilité » en bonne place derrière[1]. Chez les jeunes, la priorité accordée au sens du travail est maximale, comme le montrent de multiples enquêtes d’opinion sur ce sujet. Ces jeunes font largement partie du phénomène de « grande démission », théorisé aux Etats-Unis par l’universitaire Anthony Klotz suite à la pandémie de Covid, selon lequel de nombreux salariés veulent voir si le travail n’est pas plus épanouissant ailleurs. En France, selon une récente étude Indeed, réalisée par OpinionWay, 35% des personnes sondées envisagent de quitter leurs postes. Pour les moins de 35 ans, ce chiffre grimpe jusqu’à 42%[2]

Face à cette « grande démission », le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) propose de réelles solutions. Le modèle coopératif par exemple, où les salariés sont pleinement associés de l’entreprise, en participant à la gouvernance sur le principe démocratique un salarié = une voix au conseil d’administration, implique davantage les travailleuses et travailleurs dans leur propre activité professionnelle, et amène à orienter davantage la production dans le sens de l’intérêt général. L’ESS, c’est aussi tout un tissu d’entreprises d’insertion, qui offre à des publics fragiles comme les seniors en difficulté de reconversion, des perspectives d’emploi en fin de carrière, grâce à des postes leur permettant de se former à de nouvelles compétences, ce qui peut leur éviter une fin de carrière marquée par des épisodes de chômage avant d’atteindre l’âge légal de départ à la retraite. Enfin, pour les jeunes en quête de sens qui parfois allongent la durée de leurs études faute de trouver un emploi correspondant à leurs aspirations, notamment écologiques, l’ESS offre de formidables débouchés dans bien des secteurs, et va connaître dans les prochaines années un fort besoin de renouvellement.

Toutes ces structures de l’ESS demeurent peu connues du grand public, alors qu’elles offrent des réponses concrètes aux nouvelles aspirations des travailleuses et travailleurs à associer accomplissement individuel et utilité sociale. D’où la nécessité pour les médias d’en parler davantage, et pour les pouvoirs publics de développer les dispositifs pour aider à l’entreprenariat social, et à la transition d’entreprises classiques vers les statuts ESS.

Disons-le clairement : la désirabilité du travail est un moyen pour mieux financer notre système de retraites par répartition. Combiné à une politique économique volontariste axée sur la nécessaire transition écologique de notre économie, le travail plus épanouissant, offert notamment par les structures de l’ESS, peut en effet permettre de faire travailler davantage de personnes dans un environnement professionnel stabilisé, avec moins de ruptures dans les carrières, et donc d’augmenter le volume de cotisations retraites.

Au plan politique, cela implique donc pour la gauche écologiste de renouer avec son discours historique de valorisation du travail comme moyen d’émancipation. C’est en gagnant la bataille culturelle sur la question de la « valeur travail » qu’elle peut espérer reconquérir les classes populaires et intermédiaires, pour lesquelles le travail est souvent l’unique source de revenus.

Protester contre la réforme injuste du gouvernement est indispensable, en particulier contre la mesure de décalage de l’âge de départ à 64 ans, mais il est aussi nécessaire de définir concrètement les contours d’un nouveau monde du travail, plus humain et solidaire, et du nouveau système de retraites qui en découle. En la matière, on ne peut que regretter l’abandon de toute réelle réflexion sur un système de retraite universel, avec les mêmes règles pour tous les métiers, y compris pour les critères de pénibilité, avec des déclinaisons opérationnelles par branches. Un tel système faciliterait non seulement la compréhension du système par le plus grand nombre, principe démocratique essentiel, mais aussi ne pénaliserait pas les changements de statuts professionnels au cours d’une carrière, dans une époque où beaucoup d’actifs aspirent à la fois à de la liberté dans leurs parcours, tout en étant sécurisés dans leurs droits sociaux.

« Il est revenu un espoir, un goût du travail, un goût de la vie ». C’est par ces mots que lors de ses voeux aux Françaises et Français à la radio, le 31 décembre 1936, Léon Blum tira un premier bilan de l’action du Front Populaire, qui fut porteuse de tant de conquêtes sociales. C’est maintenant au tour de la gauche écologiste du 21e siècle de se réapproprier la valeur travail selon ses termes. Un travail synonyme d’épanouissement, de cohésion sociale, et de protection de notre planète.  

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