En cette journée pour les droits des femmes, vous trouverez ci-dessous une tribune publiée dans Le Monde du jour, que je co-signe avec d’autres élu.e.s de la NUPES dont Aurélie Trouvé, Manon Aubry, Marie Toussaint et Pierre Larrouturou notamment, ainsi qu’avec des responsables économiques et d’ONG, qui demande à la Commission Européenne d’exiger des marques de fast fashion un salaire vital pour leurs ouvrières.
N’hésitez pas à signer la pétition « Good clothes, fair pay » qui va en ce sens : Good Clothes, Fair Pay (goodclothesfairpay.eu)
Mon soutien à cette initiative s’inscrit dans l’action que je mène à Paris pour une mode durable, qui implique de repenser toutes les chaînes de production et de consommation du textile au plan international.
Textile : « La logique des pratiques commerciales de la “fast fashion” rend l’ouvrière esclave d’une industrie qui s’engraisse et bafoue les droits humains »
Tribune – Collectif
Porteuse de contraintes et d’injonctions, la mode a accompagné l’émancipation des femmes, des pantalons de Coco Chanel dans les années 1920 au « crop top » [tee-shirt court, littéralement, « crop top » veut dire tee-shirt coupé en anglais] dans les années 1990 puis 2020.
Mais celles qui fabriquent nos vêtements – car ce sont en écrasante majorité des femmes – sont confrontées à la pauvreté, à la précarité et à des violations continues de leurs droits. Leur salaire ne leur permet pas de nourrir leur famille ou d’envoyer leurs enfants à l’école. Elles sont peu protégées par les lois sociales de leur pays et leurs conditions de travail sont éreintantes, voire dangereuses. Comment donner à voir cette réalité ?
La mode est aussi une question politique. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes [organisée le 8 mars], nous voulons mettre en lumière l’histoire et la réalité de ces femmes. Nous appelons à un changement législatif pour mettre fin à l’impunité des marques à travers une directive européenne ambitieuse sur le devoir de vigilance et l’initiative citoyenne européenne Good Clothes, Fair Pay.
Le modèle de la « fast fashion » repose sur la surproduction et l’exploitation des travailleurs et travailleuses les plus vulnérables. Près de 80 % des ouvriers textiles sont des ouvrières. Largement majoritaires, elles sont indispensables au fonctionnement de l’industrie de la mode, mais font face à des facteurs socio-économiques et politiques les rendant plus vulnérables que leurs homologues masculins. Exploitées et ignorées, elles sont souvent dans l’obligation d’accepter des conditions de travail indécentes, voire illégales.
Sans contrat ni protection sociale
Les ouvrières font face à des heures supplémentaires abusives, parfois forcées et non payées, à des déductions sur leur salaire et à de nombreuses violences basées sur le genre. Malgré des journées pouvant dépasser les douze heures, six à sept jours par semaine, elles ont du mal à joindre les deux bouts. Selon les pays, elles sont payées deux à cinq fois moins que nécessaire pour subvenir à leurs besoins.
Loin de l’image des rangs d’ouvrières dans les usines où sont fabriqués la majorité de nos vêtements, une autre réalité nous est souvent inconnue. Qui sait que la broderie de son t-shirt préféré a été cousue par une femme chez elle, travaillant sans contrat ni protection sociale ? Pourtant, en Asie du Sud, elles sont cinquante millions à travailler à domicile dans le textile.
Face à la pression des marques qui veulent produire plus à moindre coût pour maximiser leurs profits, les usines de confection font appel à des travailleuses à domicile pour respecter des délais et des volumes de commandes intenables. Invisibles, elles sont les moins rémunérées et les plus précaires du secteur.
Leur quotidien est effroyable : horaires sans limite ou périodes sans revenu, rémunération indécente souvent versée en retard, absence de protection sociale, harcèlement des employeurs, risques élevés de blessures. Prises au piège par la nature même du travail informel, elles ne sont pas protégées par le droit du travail, restent isolées face à leur employeur et géographiquement dispersées.
Un texte aveugle au genre
Il est pour ainsi dire impossible d’établir des relations avec des syndicats pour faire valoir leurs droits. Cette précarité s’inscrit dans la logique des pratiques commerciales de la fast fashion qui rend l’ouvrière corvéable, esclave d’une industrie qui s’engraisse et bafoue les droits humains d’une population en situation de vulnérabilité.
Face à la demande croissante des citoyennes et des citoyens pour une mode durable et dans une logique marketing, certaines marques ont pris des engagements pour réduire leurs impacts sur les droits des travailleuses et des travailleurs de leurs chaînes d’approvisionnement. Ces initiatives ne suffisent pas. Parce qu’il est inacceptable que les droits de ces femmes soient plus longtemps sacrifiés au nom du profit, nous en appelons à la législation.
L’Union européenne est en train de débattre d’une directive sur le devoir de vigilance des entreprises. Elle obligerait les multinationales à avoir une activité respectueuse des droits humains et de l’environnement. Or, la proposition de texte est complètement aveugle au genre, comme le dénoncent plus de quatre-vingts ONG et syndicats.
Pour ne pas laisser les femmes et les filles de côté, nous nous battrons au Parlement européen et exigerons du gouvernement qu’il porte ces messages au Conseil européen, pour que le texte final intègre le genre à chaque étape du processus de devoir et de vigilance (identification des risques, suivi des mesures d’atténuation, dispositions d’accès à la justice pour les victimes, etc.). Sinon, impossible de réduire la discrimination, le harcèlement, les inégalités de salaire, ou d’améliorer les connaissances des femmes sur leurs droits.
Un million de signatures
Car le salaire est une question de genre. Garantir aux femmes un salaire vital, c’est leur permettre de subvenir à leurs besoins essentiels, de dégager du temps pour leur vie personnelle, pour s’engager dans la vie sociale et politique de leur communauté, pour s’organiser entre elles et faire entendre leur voix.
Soutenue par une cinquantaine d’ONG et de syndicats, la campagne Good Clothes, Fair Pay demande l’introduction d’une législation européenne obligeant les marques d’assurer aux ouvrières et aux ouvriers du textile des salaires vitaux.
Pour que la Commission européenne se saisisse du sujet, nous devons atteindre un million de signatures de citoyennes européennes et de citoyens européens. Nous pouvons toutes et tous signer la campagne et exiger un changement politique en exerçant notre pouvoir démocratique, un pas décisif pour les conditions de travail de ces femmes.
Députées et députés, activistes, militantes et militants, ONG, journalistes, nous nous mobilisons et nous appelons les citoyennes et les citoyens à se mobiliser autour de ces deux initiatives pour que les droits de ces femmes invisibles qui se cachent derrière nos vêtements soient enfin respectés.
Signataires de la tribune : Manon Aubry, députée européenne française La France insoumise (LFI), coprésidente du groupe de la gauche unitaire (GUE) au Parlement européen ; Isabelle Cabrita, fondatrice de Good Gang Paris ; Aurélie Chevrillon, présidente de Max Havelaar France ; Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France ; Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice ; Alma Dufour, députée (LFI) du groupe Nupes ; Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France ; Flora Ghebali, entrepreneuse et autrice du livre « Ma Génération va changer le monde » (éditions de l’Aube, 2021) ; Pierre Larrouturou, député européen français (Nouvelle Donne), membre du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen ; Florentin Letissier, maire adjoint Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Paris chargé de l’économie solidaire et circulaire ; Arielle Lévy, présidente du Collectif Une Autre mode est possible (UAMEP) ; Audrey Millet, historienne et autrice du « Livre noir de la mode » (Les Pérégrines, 2021) ; Eloïse Moigno, fondatrice de SloWeAre ; Dominique Potier, député (PS) du groupe Nupes ; Marie Toussaint, députée européenne française (EELV), membre du groupe des Verts/Alliance libre européenne au Parlement européen ; Aurélie Trouvé, députée (LFI) du groupe Nupes.